Par Sophie Képès le 25 Déc 2017
Être auteur, c’est souvent ressembler à Erin Brockovich: se battre « seule contre tous ».
Il y a six mois, Agrume Studio, filiale cinéma d’Agrume, l’héritier de l’opérateur téléphonique historique France Télégrume, m’envoie un relevé de droits pour un film dont j’ai été co-scénariste.
Je réalise que je n’ai pas reçu de reddition de comptes depuis 6 ans et demi. Il y a des sous à toucher. Pas des masses, mais quand même. Je suis contente.
Sauf qu’à la ligne Net à payer, je trouve un zéro.
Je relis plus attentivement et je comprends: ayant investi dans une remastérisation du film, Agrume Studio oppose cet investissement à mes droits d’auteur.
J’appelle pour indiquer mon désaccord. Mon interlocuteur me demande de vérifier mon contrat. Je le déniche, le fais lire par la Société des Auteurs et des Compositeurs Dramatiques. Son conseiller juridique me confirme qu’Agrume Studio doit me régler la somme.
Je rappelle mon interlocuteur et réclame mon dû. J’en profite pour lui signaler que, s’il peut toucher son salaire à la fin du mois, c’est grâce à l’investissement en temps et en création d’imbéciles dans mon genre. Il en convient et me dit qu’il va en référer à sa hiérarchie.
Par la suite il ne prend plus mes appels et ne répond plus à mes mails, malgré une intervention du producteur d’origine.
Erin piétine.
Entre-temps, j’ai découvert que la branche Agrume Studio est déficitaire depuis des années. On a sans doute décidé de se refaire sur le dos des auteurs, moutons si souvent tondus et retondus que la laine se refuse à pousser sur leur dos.
Tout cela se passe pendant l’affaire Bolloré, qui s’est réveillé un beau jour avec la brillante idée de cesser de verser à la SACD les droits des auteurs de Canal+.
Mais il se trouve que 23% des parts d’Agrume Studio sont encore détenues par l’État. De plus, la remastérisation a été financée à hauteur de 33% par une subvention du Centre National de la Cinématographie – encore l’État.
Autant on s’attend à ce qu’un Bolloré agisse comme le loup dans la bergerie, autant on imagine qu’Agrume Studio, vu son statut, se comporte plus décemment. Son directeur ayant dirigé le CNC pendant des années, il est probable qu’il connaît la législation du droit d’auteur.
J’envoie une mise en demeure et mets ce directeur en copie. Je sais qu’il s’en fiche, mais c’est une manière de montrer le sérieux de ma démarche.
Pas de réponse.
Erin fulmine.
Je contacte un avocat spécialisé. Il lit mon contrat, fouille dans les annexes, vérifie les normes juridiques, et confirme l’analyse de la SACD. Il envoie une mise en demeure à Agrume Studio.
Pas de réponse. Même l’avocat est étonné: on lui répond toujours.
Ça prendra le temps qu’il faudra, mais je ne lâcherai pas prise. Je ne laisse jamais les gens qui me doivent de l’argent ne pas me payer. C’est ma façon à moi de me prendre au sérieux en tant qu’auteur.
Et donc… Erin assigne!
(à suivre)